Il y a la sublimation et il y a lʼexplosion.
Il y a la transcendance de la nature reproduite ('ars potenta naturae', maxime du Titien) et la décharge saturée de ce que le quotidien emmagasine.
En réalité, il y a la peinture de valeurs (la vertu, la vanité, la brune, la piété, etc) et la peinture de l'onde de choc.
Lʼune est tension, lʼautre déflagration.
Lʼune se sait jeu, lʼautre est nécessairement indexée au premier degré.
L'une dessine le monde, l'autre le monde ressenti.
Pour cette raison la première peut croire être à même de représenter le paradis ou un univers (de Boch à Dali); lʼautre, depuis la Chute, est dépendante du chaos ambiant des émotions et se sait incapable dʼun autre endroit (De Kooning, Pollock).
A lire les dépêches de l'AFP, on peut toutefois lui imaginer une prochaine étape: le paradis des sur-hommes qui auront quitté le chaos pour des vacances stratosphériques ou pour des agréments dʼimplants et de molécules d'efficacité; leur peinture magnifiera ces nouvelles valeurs transcendantes, pourquoi pas une muraille de Chine sur la lune aux couleurs des Nations Unies? ('ars potenta universae').
En attendant les louanges de ces prodiges, lʼétape du jour est de sʼappliquer à calmer l'explosion du chaos scopique.
Deux méthodes pour faire face au déchet, pour voir ce qui reste une fois lʼassaut urbain des images passé et le carnaval icônique éloigné.
Le chaos scopique nʼest pas que la pluie dʼimages désignée par Italo Calvino (voir colonne ci-jointe), cʼest aussi lʼaverse de “joy-images” où lʼon est en droit de sʼabîmer. Ces apparences -tel est leur office- est de sʼoffrir à notre possession. Sans nous contredire (bénédiction du miroir déformant), sans nous laisser tomber (incessante présence) et sans demander de lʼamour (basta le regard éduqué).
La joy-image, cʼest la The Nana de Léo Ferré: on est pas là pour rester la regarder, on est là pour y décharger "et c'est bon".
Jacques Villeglé introduisit justement de la forme dans les assauts de la joy-image en ville en y retenant les palimpsestes naturellement accumulés.
Miss Bugs quarante années plus tard lui emboîte le pas et en crée de toutes pièces. ('Art & politics don't spin well')
Surprise: cela boutit à une sorte de peinture hyper-réaliste, à savoir une nature morte de la surimpression des émotions sollicitées en ville.
Sans doute enfant a-t-elle grattouiller la croûte de nymphe et de sang qui faisait île sur le bobo du genou ou du coude. Des années après, ça grattouille encore et sa peinture fait apparaître des îlots de couches de joy-images.
('Too much soup burns the original beauty' et 'Hirst all over my body')
Fatalement les compositions de Miss Bugs ne sont pas sans solitude: la joy-image une fois grattouillée perd de son pouvoir.
Dans cette solitude il apparaît que le collage babille dans un regret de Babel: dans ces îlots le sens est une nostalgie; globalisée, lʼimage a depuis belle lurette laissé le sens au vestiaire; cyber, publicitaires, néonées, glacées, les images sont plus ou moins connues (et si ce nʼest toi, cʼest donc ta soeur) et évoquent quand-même des souvenirs; leur apposition finit par constituer une sorte de rébus polyglotte mais incompréhensible. Tout a beau être entreposé devant nous, le sens nʼen naît pas pour autant.
Le rébus inacessible n'en est pas moins électrique. ('Lady of the land')
Ainsi la répétition et l'apposition des bouts d'icônes et de slogans (un zoo ne serait pas plus ambitieux que Miss Bugs) finit-elle par dresser une banderole de méta-jouissance.
Ce palimpseste en banderole est limité à lʼélectricité de la décharge: pas dʼironie ou de méfiance, lʼoeil encore abasourdi en reste au coup dʼéclat.
Néanmoins, ce que la ville sʼéchine à verser dans la pupille de lʼoubli, Miss Bugs le retient.
Cette mise en mémoire resemble même à une course contre la montre: lʼarchéologie des images est limitée aux couches dernières; derrière la fossilisation récente rien nʼest grattée: l'avant-guerre est déjà trop loin.
On peut même spéculer que comme dans toute mélancolie babélique il y a chez Miss Bugs la recherche dʼune image adamique: ce que la joy-image électrise, nʼest-ce pas après tout un noyau dur des émotions originelles et des souvenirs des premières
décharges, à savoir ceux de lʼépiphanie des premiers visages?
Noyau inaccessible par nature mais qui magnetiserait tout cheminement dans un palimpseste, ceux de Jacques Villeglé ou de Miss Bugs.
En tous cas, en lʼabsence dans les compositions de Miss Bugs de lutte ou de prise de distance, la liquidité de la joy-image reste sans fin et le sort nʼest pas rompu.
Le collage justement ne souhaite pas en rester là. (Jaqcues Prévert, '6è commandement')
Lʼessence poétique du collage est de biaiser pour suggérer, de détourner pour évoquer; le jeu surréaliste dʼassociations librement contrôlées reste sa raison dʼêtre.
Le réalisme nʼest donc pas son but; la réalité est point de départ à découper puis à subjectiver cahin caha à coups de colle uhu.
Le collage comme le palimpseste est soumis aux contingences. Il est précisément question dʼopportunité: il faut obtenir la bonne image, voire le bon livre (voir Max Ernst); aujourdʼhui il nʼy a plus à chercher, il faut surtout se dépêtrer. Bezembinder fait même de
lʼassaut incessant des images le principe-même de ses collages.
Et puisque le sens/le signifiant depuis belle lurette sʼest fait la malle et que la joy-image nʼen est ni veuve ni orpheline, il nʼest pas question pour le collage de le réintroduire d'autorité via la juxtaposition. Néanmoins avec la mise en forme de ses rêves éveillés, le collage réintroduit du sens (irréaliste mais peu importe), de la dérision (il se déprend de la décharge) et du temps (lʼassaut scopique est mis en suspens). (Max Ernst, 'Semaine de bonté')
A la manière des fouilles dans les entrailles pratiquées par les augures romains, le colleur plonge la main dans son vivier et examine ce qui reste une fois tout remonté. (Tarda Mucho, 'Lunatico')
Dans les prochaines années avec un peu de chance, les collages seront en 3D et le Dr Moreau sere reconnu comme 'performer' avant-gardiste.
Le palimpseste comme le collage aujourd'hui ne visent quʼà dévoiler les couches laissées par la vitesse des décharges émotionnelles, nada màs. Il est entendu que ça ne fonctionne quʼà cause des échos à ce qui a été reçu -avec ou sans plaisir peu importe, le souvenir ne trie pas. Mais c'est peut-être ce qui donne le plus de prix au collage: la coexistence des plaisirs. (Tarda Mucho, 'Besos')
D'un côté le palimpseste continue la jouissance univoque de la joy-image, cʼest-à-dire permet dʼhabiter son époque; d'un autre, le collage ouvre à lʼamusement et l'équivoque, cʼest-à-dire dʼaimer un peu plus son époque.
Dans les deux cas, ni le collage ni le palimpseste ne sont abstraits: le reliquat en papier est celui de notre monde, plus ou moins élargi après leur intervention sur les déchets de la joy-image.
Twilight instrumental
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I always wanted a music blog. (On Spotify as Will Schofield.)
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