(Muro de Murcia, marzo 2009, artista: Alberto Depedro)
"Voici ce que j'ai pensé: parmi les Proverbes de l'enfer de William Blake on trouve celui-ci que les désirs inassouvis engendrent la pestilence; pour cette raison qu'ils ne s'éteignent pas dans le confinement et l'obscurité, étant en nous la manifestation nécessaire de la vie sensible et de notre enthousiasme naturel; mais qu'ils fermentent et se corrompent à notre insu comme dans une cave malsaine; qu'ils se métamorphosent en leur contraire, se changeant en passivité et en faiblesse, ajoute Blake; et c'est seulement quand ils sont bien putréfiés dans l'inassouvissement que l'économie s'offre à les satisfaire en leur proposant ses représentations, qui sont le moyen de son règne à la fois que la justification que lui fournissent ses consommateurs, en les acceptant.
S'il nous était loisible de faire l'anatomie des convoitises et des besoins, des jouissances et des satiétés qui nous attachent à cette société et nous la font trouver excellente, et de découvrir chaque fois sous ces figures flétries ou viciées la physionomie de ce qui en était le principe avant qu'il ne pourrisse ainsi, on reconnaîtrait quelque chose qu'aucune marchandise ne saurait contenter et qui même en réclame expressément l'absence.
Cela s'entend immédiatement si l'on en considère le type idéal que sont les films en couleurs de la pornographie industrielle: à quoi proposent-ils de s'assouvir sinon à l'inassouvissement lui-même, qui est la condition de leur utilité, le marché qu'ils reproduisent en le satisfaisant. On voit comment d'être ainsi exaucée cette misère morale en vient à se croire un désir positif ayant pour objet ces rêves dirigés sur écran et ne peut pas du tout songer à se connaître comme insatisfaction; et de quoi, en réalité. C'est exactement la manière dont les stupétiants injectables se procurent leur clientèle.
Il faut donc quand on s'ennuie conserver à l'esprit que toutes les marchandises présentées en résolution de notre impatience et de notre vacuité sont de cette façon, et souvent bien plus défigurées encore: qu'y avait-il avant, qui s'est transformé en un magnétoscope, un brunch entre amis, une carte de crédit, une séance de psychothérapie, un voyage d'une semaine en Birmanie? que c'est d'être séparé de soi-même et du monde sensible qui nous plonge dans l'ennui, dont les plaisirs et les distractions de cette société sont la cause toujours renouvelée:
«Ils sentent qu'ils ne sont pas heureux et ils espèrent toujours de le devenir par les moyens même qui les rendent misérables», s'étonne Fénelon quand il observe ces hommes enchantés par les faux plaisirs: Ce qu'ils n'ont pas les afflige, ce qu'ils ont ne peut les remplir. Leurs douleurs sont véritables. Leurs joies sont courtes, vaines et empoisonnées. Elles leur coûtent plus qu'elles ne leur valent. Toute leur vie est une expérience sensible et continuelle de leur égarement, mais rien ne les ramène.
Pour cela que ces viandes creuses ne sont bonnes qu'à reproduire les faux besoins qu'elles trompent, et d'abord celui du travail, cet ennuyeux malheur; qui ne peuvent être ainsi la réjouissance et la nécessité que de la soumission; qui ne seraient pas le superflu de l'émancipation, mais l'objet de ses rires et de son incrédulité.
Anatole France trouvait étrange l'appétit de ses contemporains pour les nouveautés de la vie à l'américaine : «Ils sont aveugles et sourds aux miracles de cette poésie qui divinise la terre. Ils n'ont pas Virgile, et on les dit heureux, parce qu'ils ont des ascenseurs.» Ce n'est pas mystérieux: la domination produit les hommes dont elle a besoin, c'est-à-dire qui aient besoin d'elle; et toutes les prétendues commodités de la vie moderne, qui en font la gêne perpétuelle, s'expliquent assez par cette formule que l'économie flatte la faiblesse de l'homme pour faire de l'homme faible son consommateur, son obligé son marché captif qui ne peut plus se passer d'elle: une fois les ressorts de sa nature humaine détendus ou faussés, il est incapable de désirer autre chose que les appareils qui représentent et sont à la place des facultés dont il a été privé."
Baudoin de Bodinat , La vie sur terre- Réflexions sur le peu d'avenir que contient le temps où nous sommes.
Crouching and Screaming
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