“Je retire toute confiance à une société d’êtres humains, mais fondée sur la peur de l’humain. Je retire toute confiance à une civilisation qui a trahi l’esprit au profit du corps. Je retire toute confiance à un corps qui n’est pas ma chair et mon sang, mais censé incarner l’idée que la collectivité se fait d’un corps normal. Je retire toute confiance à une normalité qui se définit elle-même comme la santé. Je retire toute confiance à une santé qui se définit elle-même comme la normalité. Je retire toute confiance à un système de domination qui se fonde sur des pétitions de principe. Je retire toute confiance à une sécurité qui prétend apporter une réponse définitive en taisant soigneusement les termes de la question. Je retire toute confiance à une philosophie qui prétend qu’il n’y a plus lieu de débattre des problèmes existentiels. Je retire toute confiance à une morale trop veule pour affronter le paradoxe du bien et du mal, et qui préfère s’en tenir aux catégories d’“utile” et d’“inutile”. Je retire toute confiance à un système juridique dont les succès sont subordonnés à un contrôle permanent du citoyen. Je retire toute confiance à un peuple convaincu que la transparence totale de la vie n’est préjudiciable qu’à ceux qui ont quelque chose à cacher. Je retire toute confiance à une Méthode qui croît à l’ADN d’un homme plutôt qu’à ses paroles. Je retire toute confiance au bien-être collectif, parce qu’il considère les choix personnels comme un poste de dépenses inacceptable. Je retire toute confiance au bien-être individuel tant qu’il n’est qu’une variante du plus petit dénominateur commun. Je retire toute confiance à une politique dont la popularité repose exclusivement sur la promesse d’une vie dénuée de risque. Je retire toute confiance à un amour qui se considère comme le produit d’un processus d’optimisation immunologique. Je retire toute confiance à des parents pour qui une cabane dans un arbre n’est qu’un “risque de chute” et un animal domestique un “risque de contamination”. Je retire toute confiance à un État qui sait mieux que moi ce qui est bon pour moi. Je retire toute confiance à l’imbécile qui a ôté l’écriteau annonçant à l’entrée de ce monde : “Attention, la vie peut conduire à la mort”. Je retire toute confiance, parce qu’il fallait que mon frère meure pour que je comprenne ce qui signifie vivre.”
Julie Zeh
Corpus delecti
Crouching and Screaming
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Wonderful 1978 illustrations by Outi Markkanen (Finland, b.1951) on Kuriosas.
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